Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois que l’historien se souviendra qu’il est prince et fera plus ou moins directement une allusion à sa propre histoire. Il doit y avoir, j’en conviens, une question pratique dans l’ouvrage ; mais, je le répète, je suis décidé à ne pas voir cette question ; je veux ne considérer absolument que la question théorique, juger l’historien et non le prince, étudier un tempérament de philosophe et non un tempérament de politique.

Si vous le voulez, j’écris cet article en 1815. J’ignore le présent, je ne songe qu’au passé. Je suis en pleine théorie, et je juge simplement le système historique d’un confrère. Je conjure le lecteur de bien se mettre à mon point de vue, de ne pas chercher le moindre sous-entendu dans mes paroles, et de monter avec moi encore plus haut que l’historien n’a monté, dans la sphère calme de l’idée, pure région où les spéculations philosophiques perdent tout côté personnel.

C’est à ces conditions seules que je me sens la liberté nécessaire pour parler de l’œuvre qui passionne en ce moment le public. Je n’examinerai d’abord que la préface.

Il y a, en histoire, deux façons de procéder. Les historiens choisissent l’une ou l’autre, selon leurs instincts.

Parmi eux, les uns négligent le détail et s’attachent à l’ensemble ; ils embrassent d’un coup d’œil l’horizon d’une époque, cherchent à simplifier les lignes du tableau. Ils se placent en dehors de l’humanité, jugent les hommes sous la seule face historique,