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lerai dans cet article vient à moi plus que je ne vais à lui, et que je traite avec lui, pour une heure, d’égal à égal. J’oublie l’homme et ne vois que l’écrivain ; si je me prive ainsi de piquants rapprochements, de fines allusions, blessures plus ou moins vives ou chatouillements agréables, je gagne tout au moins le droit d’approuver et de désapprouver, sans que ma dignité ait à souffrir.

Je préférerais encore que l’on m’accusât de courtisanerie que d’être soupçonné un instant de jouer ici le rôle de l’insulteur antique qui suivait le char des triomphateurs. Vraiment, il est trop facile, en cette circonstance, de se tailler un piédestal dans l’injure, et rien ne me déplairait comme d’être confondu avec les gens qui calculent le nombre de leurs lecteurs d’après le nombre de leurs critiques. La sympathie est de bon goût, lorsque la sévérité peut être taxée de calcul.

D’ailleurs, je l’ai dit, je n’ai point souci de toutes ces considérations. Je me mets à part ; je n’ai ni encens ni orties dans les mains.

Peut-être les lecteurs auraient-ils désiré me voir monter de l’œuvre à l’auteur et trouver dans le livre un programme politique, l’explication d’un règne. J’avoue ne pas avoir le courage d’une pareille tâche ; la tête me tournerait dans ces régions qui ne sont plus les miennes. J’accorde d’ailleurs que mes appréciations pourront ne pas être complètes ; je comprends qu’il y a une face de l’œuvre que je laisserai volontairement de côté, me bouchant les oreilles chaque