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d’exprimer le mot que tous croient avoir sur les lèvres et que personne n’a encore prononcé. N’est-ce pas là un enseignement fortifiant, plein d’espérance ? Si l’École des beaux-arts a choisi M. Taine, croyant qu’il l’aiderait à se constituer un petit comité, une coterie intolérante, elle s’est étrangement trompée. Je sais d’ailleurs que ce n’est pas elle qui a fait un pareil choix. La présence de M. Taine en ce lieu est un attentat direct aux vieux dogmes du beau. Il s’y opposera à la formation de toute école. Il ne fera certainement pas naître un grand artiste, mais s’il s’en trouve un dans son auditoire, il ne s’opposera pas à son développement, il facilitera même la libre manifestation de ses facultés.

Tel est M. Taine, telles sont, si je ne me trompe, sa propre individualité et ses préférences, ses opinions en matière artistique. Mathématicien et poète, amant de la puissance et de l’éclat, il a la curiosité de la vie, le besoin d’un système, l’indifférence morale du philosophe, de l’artiste et du savant. Il possède des idées positives très arrêtées, et il applique ces idées à toutes ses connaissances. Son propre tempérament se trahit dans son esthétique ; indépendant, il prêche la liberté ; homme de méthode, il classe et veut expliquer toutes choses ; poète âpre et brutal, il est sympathique à certains maîtres, Michel-Ange, Rembrandt, Rubens, etc. ; philosophe, il ne fait qu’appliquer à l’art sa philosophie. Je ne sais si j’ai été juste envers lui ; je l’ai étudié selon ma nature, faisant dominer l’artiste en lui. Ce n’est ici qu’une appréciation personnelle. J’ai essayé