Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/234

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le fâche ; peut-être est-il plus délicatement chatouillé lorsqu’on lui donne celui de philosophe ; l’orgueil de l’homme a ainsi ses préférences. M. Taine tient sans doute beaucoup à sa théorie, et je n’ose lui dire que j’ai non moins d’indifférence pour cette théorie que d’admiration pour son talent. S’il m’en croyait, il serait très fier de ses seules facultés artistiques.

Tout indifférent que je me prétende, il y a dans le système un oubli volontaire qui me blesse. M. Taine évite de parler de la personnalité ; il ne peut l’escamoter tout à fait, mais il n’appuie pas, il ne l’apporte pas au premier plan où elle doit être. On sent que la personnalité le gêne terriblement. Dans le principe, il avait inventé ce qu’il appelait la faculté maîtresse ; aujourd’hui, il tend à s’en passer. Il est emporté, malgré lui, par les nécessités de sa pensée, qui va toujours se resserrant, négligeant de plus en plus l’individu, tâchant d’expliquer l’artiste par les seules influences étrangères. Tant qu’il laissera un peu d’humanité dans le poète et dans le peintre, un peu de libre arbitre et d’élan personnel, il ne pourra le réduire entièrement à des règles mathématiques. L’idéal de la loi qu’il dit avoir trouvée serait de s’appliquer à des machines. Aujourd’hui, M. Taine n’en est encore qu’à la comparaison des semences, qui poussent ou qui ne poussent pas, selon le degré d’humidité et de chaleur. Ici, la semence, c’est l’individualité. J’ai des larmes en moi, M. Taine affirme que je ne pourrai pleurer, parce que tout mon siècle est en train de rire à gorge déployée. Moi, je suis de