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les intelligences, et que des doigts moins délicats et moins fermes ne feraient qu’une besogne assez triste. Je n’ai pas encore dit quelle était la nouvelle théorie, sachant qu’il n’est personne à cette heure qui ne la connaisse et ne l’ait discutée au moins avec lui-même. Cette théorie pose en principe que les faits intellectuels ne sont que les produits de l’influence sur l’homme de la race, du milieu et du moment. Étant donnés un homme, la nation à laquelle il appartient, l’époque et le milieu dans lesquels il vit, on en déduira l’œuvre que produira cet homme. C’est là un simple problème, que l’on résout avec une exactitude mathématique ; l’artiste peut faire prévoir l’œuvre, l’œuvre peut faire connaître l’artiste. Il suffit d’avoir les données en nombre nécessaire, n’importe lesquelles, pour obtenir les inconnues à coup sûr. On voit qu’une pareille loi, si elle est juste, est un des plus merveilleux instruments dont on puisse se servir en critique. Telle est la loi unique avec laquelle M. Taine, qui ne se mêle ni d’applaudir ni de siffler, expose méthodiquement et sans se perdre, l’histoire littéraire et artistique du monde.

Il a formulé cette loi devant les élèves de l’École des beaux-arts, d’une façon complète et originale ; il n’avait encore été nulle part aussi catégorique. Je n’ai bien compris tout son système que le jour où j’ai lu ses leçons d’esthétique, qu’il vient de publier sous le titre de Philosophie de l’art. Toutes les écoles, a-t-il dit, sont également acceptables ; la critique moderne se contente de constater et d’expliquer. Voici mainte-