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Une école n’est jamais qu’une halte dans la marche de l’art, de même qu’une royauté est souvent une halte dans la marche des sociétés. Chaque grand artiste groupe autour de lui toute une génération d’imitateurs, de tempéraments semblables, mais affaiblis. Il est né un dictateur de l’esprit ; l’époque, la nation se résument en lui avec force et éclat ; il a pris en sa puissante main toute la beauté éparse dans l’air ; il a tiré de son cœur le cri de tout un âge ; il règne, et n’a que des courtisans. Les siècles passeront, il restera seul debout ; tout son entourage s’effacera, la mémoire ne gardera que lui, qui est la plus puissante manifestation d’un certain génie. Il est puéril et ridicule de souhaiter une école ; lorsque j’entends nos critiques d’art, chaque année dans leurs comptes rendus du Salon, geindre et se plaindre de ce que nous n’avons pas une pauvre petite école qui régente les tempéraments et enrégimente les facultés, je suis tenté de leur crier : « Eh ! pour l’amour de Dieu, souhaitez un grand artiste et vous aurez tout de suite une école ; souhaitez que notre âge trouve son expression, qu’il pénètre un homme qui nous le rende en chefs-d’œuvre, et aussitôt les imitateurs viendront, les personnalités moindres suivront à la file : il y aura cohorte et discipline. Nous sommes en pleine anarchie, et, pour moi, cette anarchie est un spectacle curieux et intéressant. Certes, je regrette le grand homme absent, le dictateur, mais je me plais au spectacle de tous ces rois se faisant la guerre, de cette sorte de république