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troubler les âmes simples. Mais, à côté de ce découragement qu’inspirent ces grandes intelligences vaincues par l’inconnu, il y a un sentiment sain et fortifiant dans le spectacle de la lutte engagée, depuis le premier jour du monde, entre l’homme et la vérité ; il y a l’intime satisfaction de nous voir libres et courageux, toujours sur la brèche, avec la secrète espérance d’une victoire future. On se dit que ceux-ci ont été vaincus, mais on ajoute qu’ils ont combattu bravement, qu’ils ont même arraché quelques lambeaux du voile de la vérité ; on se sent fier de leur lutte, fier même de leur défaite, défaite de Jacob terrassé par l’ange ; et, tout au fond de soi, on s’avoue que l’homme est un rude adversaire et qu’un jour peut-être il vaincra à son tour ; l’orgueil renaît, et l’on est consolé.

Lisons-les donc, ces moralistes qui nous déchirent et nous caressent à la fois. Ils nous versent le doute d’une main, le courage de l’autre ; ils se lèvent du milieu de la foule pour témoigner que la pensée de l’humanité veille toujours, ils nous émeuvent par le spectacle grandiose de leurs combats, et leur parole répond au plus profond de nos entrailles ; ils nous secouent, ils nous tirent du sommeil de la matière, en faisant passer dans notre chair des frissons glacés de terreur, des espérances folles de lumière et de vérité. Ils nous tiennent en haleine devant Dieu.

Les six médaillons de M. Prévost-Paradol sont sous mes yeux. Je m’arrête devant chacun d’eux et vous communique mon impression franche.