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dans la création, et les hypothèses que l’on peut faire sur les âges futurs, sont un appel à la justice et au devoir, à la paix universelle.

M. Victor Duruy raconte, bouleversement par bouleversement, l’histoire des anciennes terres. Il étudie à la fois le monde et les êtres, suivant pas à pas la formation du sol et celle de l’homme. Chaque cataclysme apporte son fragment de continent, chaque race qui se montre apporte sa part de vie. Peu à peu, la France se forme, l’homme naît. Il a fallu des siècles et des siècles. Parfois, les terres s’abîmaient de nouveau au fond des océans, les créatures périssaient, la vie devenait languissante. Enfin, un peu avant le dernier déluge, la contrée que nous nommons la France prit la configuration qu’elle a maintenant, « l’homme parut et Dieu se reposa. »

Non, Dieu ne se reposa pas. Hier, aujourd’hui, à toute heure, il travaille en nous, autour de nous. La création continue, l’œuvre marche, grandit. Le labeur des mondes est éternel. Nous sentons la terre en enfantement tressaillir sous nos pieds, nous sentons la matière s’épurer en nous. Il y a encore de nouvelles contrées dans le sein de notre globe, il y a encore dans notre être, dans nos vagues aspirations et nos désirs d’infini, de nouveaux êtres plus purs et plus parfaits. C’est là une absurde croyance de croire que Dieu peut prendre du repos et qu’il vit, oisif, dans quelque coin du ciel, se contemplant dans notre image, satisfait de son œuvre et ignorant les besoins de perfection qui nous agitent nous-mêmes.