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certain que nous ne le voyons pas nettement, que nous le faisons à la fois trop grand et trop petit ; le passé ne nous apparaît toujours que déformé, l’Égypte des romanciers et celle des savants doivent être des Égypte de convention.

Je songeais à ces choses, lorsque, ces jours derniers, M. Ferdinand de Lanoye a bien voulu me communiquer en épreuves un petit livre qu’il va publier sur Ramsès le Grand. Il a pris ce conquérant comme type de la puissance égyptienne, et a fait de son histoire l’histoire de l’Égypte, aux heures de grandeur et de force. L’ouvrage est mince, mais il m’a paru gros de conscience et de bon sens. L’auteur semble partager mes doutes sur la foi qu’on doit accorder aux paroles des savants et des poètes ; les uns sont des commentateurs bien trop habiles, qui forcent les pierres à parler, lors même qu’elles désirent se taire ; les autres sont des écervelés qui créent, pour le plus grand amusement du public, une Égypte de fantaisie bonne à mettre sous verre. M. de Lanoye est sceptique, il doute des gens graves et des gens gais, il veut toucher du doigt les vérités, il se hasarde avec prudence, rendant la vie aux seules choses qui lui paraissent avoir vécu : un pareil sceptique est mon homme, et je me sens tout prêt à accepter son Égypte et ses Égyptiens.

Ce qui m’a tout d’abord donné confiance en lui, c’est la façon aisée dont il traite les savants épigraphistes, ceux qui lisent toute l’histoire sur les vieux murs. Certes, sans les inscriptions, nous saurions peu