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fleurs avec une délicatesse maniérée, oubliant complètement la ville, dont il avait promis de nous parler, et se promenant dans les campagnes, monté sur son grand Pégase, qui se cogne à tous les arbres. Et cela était fatal, je le répète ; l’étrange aurait été que le prophète quittât son large manteau biblique pour vêtir la simple blouse moderne. Il ne vit pas de notre vie, il est perdu ailleurs, dans le ciel bleu, dans les abîmes noirs ; il parle de notre monde comme en parlerait un habitant de Sirius ; il est trop haut pour bien voir, et il n’a même plus conscience de ce qui nous touche et nous fait pleurer. Victor Hugo n’est plus un homme ; Victor Hugo est un exilé et un prophète.

Je me résume. Victor Hugo, en écrivant les Chansons des rues et des bois, a obéi à tout son passé, à tout son génie. Il ne pouvait les écrire autrement, parce qu’il se serait alors menti à lui-même et qu’il nous aurait donné une œuvre dont rien n’aurait expliqué la naissance.

C’est ce qu’il fallait démontrer.