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débutais par la préposition à, qui est le mot le plus difficile, je crois, de tout le dictionnaire. La perspective fut décourageante. C’était celle d’une impression qui marcherait avec lenteur, si bien que ni moi ni mon éditeur, qui n’étions plus jeunes, n’en verrions la fin. La perte eût été grande pour lui ; pour moi, c’était un désastre infini, matériellement sans doute, mais surtout moralement. Alors il me souvint de la nuit d’angoisse et d’insomnie que j’avais passée quand je pris la résolution qui tournait si mal, et je me repentis.

L’oubli presque inconcevable et fort malencontreux d’une précaution toute matérielle aggravait encore mes difficultés. Je n’avais pas eu le soin de mettre et de faire mettre, en cette rédaction que je prenais pour la relire et la livrer, chaque signification et chaque exemple sur un papier séparé. Et maintenant, avec une pareille copie, comment opérer les classifications, les rectifications, les additions de la masse énorme de matériaux recueillis postérieurement ? Il fallait beaucoup recopier ; et recopier beaucoup en un travail où les écritures tenaient tant de place, allongeait une besogne déjà trop longue. Ainsi cerné de tous côtés, je tombai dans le découragement.

Il n’est rien de tel que d’être dans une mauvaise position pour avoir de mauvaises pensées. J’essayai de me persuader que mon dictionnaire, tout imparfait qu’il était en cette première rédaction, l’emportait par de véritables avantages sur les dictionnaires précédents, et que cela devait me suffire. En cette façon, je procédais par la flatterie envers moi-même pour me décider à déserter mon œuvre, et pour me résigner, tout en voyant le mieux et le plus, au pire et au