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XI

CONJUGAISON FRANÇAISE

histoire et théorie de la conjugaison française, par Camille Chabaneau[1]


Sommaire. — La conjugaison française, qui d’ailleurs n’est qu’un cas particulier de la conjugaison romane est issue directement de la conjugaison latine. Qu’a-t-elle perdu, qu’a-t-elle gagné dans le passage d’un état à un autre, dans cette transformation de portion d’une langue très cultivée en portion d’une langue toute populaire et d’abord absolument inculte ?
À la voix active, il lui a été possible (nous verrons tout à l’heure qu’il n’en a pas été de même à la voix passive) de conserver les finales latines, et d’exprimer par de simples flexions les modifications de temps, de personnes et de nombres. Dans cette opération, la langue populaire, qui avait déjà une vague idée d’un double passé, lui donna définitivement une existence réelle, en créant le parfait composé à sens indéfini j’ai aimé à côté du parfait simple à sens défini j’aimai. Cette innovation est certainement heureuse, en regard du latin, qui confond j’aimai et j’ai aimé, et des langues germaniques (allemand et anglais), qui confondent j’aimai et j’aimais.
Là ne s’arrêta pas le travail d’innovation. Le latin n’a point de conditionnel ; pour l’exprimer, il a recours à l’expédient de donner à l’imparfait du subjonctif un double emploi, si bien qu’amavissem a signifié, suivant le sens, j’aimasse ou j’aimerais. Le procédé que la nouvelle conjugaison mit en usage est ingénieux et curieux. Le latin ne lui fournissait aucun modèle. Le sens de futur qui est dans tout conditionnel lui procura le point de départ dont elle avait besoin ; modifiant la terminaison de son propre futur, elle eut le mode et le sens qu’elle cherchait par instinct.
Le passif lui a présenté des difficultés insurmontables. Les désinences significatives, ne portant pas l’accent dans le latin, ne
  1. Journal des savants, juin 1869, p. 366.