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VIERGES EN FLEUR

rappelle toujours cette scène, elle m’entraîna, la nuit tombée, hors le parc, dans un bois. Sitôt que la pleine lune se leva, ma nourrice rapidement fit tomber sa robe, sa chemise, et se mit à danser, à tournoyer, pressant entre ses doigts sa poitrine gonflée, poussant des cris sauvages, semblant appeler quelqu’un :

« — Hoch ! Araoch ! Pred eo ! Karantez ! Du, ha Ker-du ! »

« Puis elle me prit dans ses mains, m’offrant dans un rayon de lune à je ne sais quelle infernale divinité.

« Un jour elle disparut brusquement comme elle était venue. Mais le lait de cette créature coulait déjà en mes veines et me brûlait.

« Dès l’âge où l’on commence à rêver, à penser, j’aimais à m’isoler, seule, le soir surtout ; et je cherchais dans les ténèbres des amis mystérieux, les farfadets et les lutins. Sont-ils jamais venus à moi ? Je n’en sais rien. Mais plus d’une fois on m’a trouvée sur l’herbe, endormie, prononçant des mots étranges. Et lorsqu’on m’éveillait, j’avais une vague souvenance de sabbats et d’orgies.

« J’ai perverti mes sœurs, mes douces et chères sœurs, en excitant leurs curiosités, en les entraînant vers toutes les folies des opiums et des bonheurs artificiels. Je leur ai enseigné les