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VIERGES EN FLEUR

de table. Grâce à vous, mon ami, je pourrai babiller : car je m’ennuierais prodigieusement avec tous ces pères, ces mères de famille, et leurs indécentes familles de cinq et six moutards. Mais aussi quel repos, vaste, incommensurable. Et j’en ai grand besoin, après ma triple noce !

Philbert se mêla à la foule empressée qui se précipitait à la pâture. Les fringales irritées par l’air vif de la mer se déchaînèrent dans un silence grave, coupé par le cliquetis des faïences, des fourchettes et le rythme assourdi des mâchoires ruminant.

Philbert examinait Luce. Elle était placée entre sa tante et un jeune homme, un de ces petits hommes niais et laids qu’une jeune fille considère comme des pantins négligeables. Elle bavardait, grignotait. Ses regards, qui rôdaient, rencontrèrent Philbert ; leurs yeux, en se joignant, se menacèrent presque, ainsi que des ennemis.

Le jeune homme pensa : « Elle m’a vu tantôt avec son cher abbé, elle flaire en moi un inconnu hostile. Tant mieux, la chasse sera vive : va, va, petite oiselle, vole et fuis, je saurai déjouer tes ruses, te traquer, t’atteindre et voir ce que tu as dans la cervelle ! »

Au dessert, un monsieur, en face de Luce, proposa :