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DOUCES AMIES

se réveillaient. La prudence m’ordonnait de m’enfuir, la souffrance bientôt m’obligea à me lever.

— Ah ! non, t’en va pas, fit Riquette. On est délicieusement bien ici ; reste près de moi… câline-moi, embrasse-moi, caresse-moi… Je me sens heureuse, tout à fait heureuse. Aime-moi bien, chéri…

Et je restai. Ce fut à la fois délicieux et horrible. Riquette avait des baisers exquis. Mon cœur, enivré de son amour exaucé, connaissait toutes les joies du triomphe le plus pur : ce n’était plus seulement une allégresse charnelle que je sentais chez ma petite amie, mais un véritable abandon de son âme attendrie. Cette minute exquise, tant de fois attendue, tant de fois espérée, elle sonnait enfin ; mais je ne pouvais en goûter la suprême extase, car la douleur physique me tenaillait, me déchiquetait. La douleur remontait jusqu’au cœur, le criblait de coups de couteau ; elle était si atroce, si violente, qu’à plusieurs reprises je sentis que je m’en allais…

Et j’étais heureux pourtant de cette souffrance. La subir pour ma bien-aimée, m’était un plaisir cruel et doux. Ah ! ce soir-là, j’ai bien compris que l’amour s’épanouit mieux dans la douleur que dans la volupté. Être crucifié, meurtri pour celle qu’on aime, c’est le souverain bien, c’est la vision du ciel !…