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DOUCES AMIES

Je n’ose pas…

Je suis redevenu jeune, oh ! si jeune. Toutes les timidités, toutes les incertitudes, toutes les délicatesses aussi de ma seizième année — que je croyais à jamais ravagées par plus de trente années de vie et de passion — ont rejailli en moi.

Comme je confiais hier à mon ami Mortier ce nouvel état d’âme, inquiétant, mais exquis, brusquement il prononça :

— C’est la crise, la dangereuse crise, qui nous prend tous entre cinquante et soixante ans ; c’est le gâtisme !…

Le gâtisme !

C’est-à-dire l’impuissance hideuse et ridicule, la déchéance du corps et de l’esprit.

Atterré, consterné, épouvanté, j’ai quitté mon vieil ami, répétant tout le jour, avec d’effroyables angoisses :

« Le gâtisme, le gâtisme ! »

Puis, ma terreur s’étant un peu engourdie, j’ai fait un examen, sévère, impartial, de ma faiblesse, mon amour pour Riquette…

Et je ne me suis pas trouvé si ridicule !…

Ma tendresse est vive et ardente ; elle m’a donné déjà des émotions charmantes, des voluptés fines et délicieuses que je préfère, oui, c’est bien certain, aux spasmes, rapides et décevants d’une nuit de vrai plaisir.