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trent défavorables et hostiles, pour donner de la valeur à leurs suffrages. Si les gens ne sont pas convaincus, la faute n’en est pas à eux, mais à lui qui ne sait pas les convaincre. Muni comme il l’est de la raison et de l’amour qui sont aussi le fond de leur nature, il devrait les façonner. Il n’a pas à neutraliser leur opposition, mais à les convertir en apôtres ardents, en annonciateurs de la même sagesse.

Le point de vue le plus haut où l’éloquence puisse se placer, c’est celui du sentiment moral. C’est ce que l’on appelle la vérité affirmative, et elle a la vertu de fortifier l’auditeur ; c’est lui donner une suggestion de notre éternité que de lui faire sentir qu’on s’adresse à lui sur un terrain qui restera quand tout le reste aura disparu, et où ne se trouve aucune trace de temps, de lieu ou de parti. Tout ce qui est hostile est vaincu en présence de ces sentiments ; le plus endurci éprouve leur majesté. On peut remarquer qu’aussitôt qu’un individu agit pour les masses, le sentiment moral veut et doit entrer en ligne de compte, veut et doit agir ; et les hommes les moins habitués à y recourir y font invariablement appel quand ils s’adressent aux nations. Napoléon, lui-même, est obligé de l’accepter, et de s’en servir comme il le peut.

Le pouvoir le plus élevé n’appartient qu’à ces simples mouvements — alors qu’une faible main humaine touche de point en point les poutres et les charpentes sur lesquelles repose tout l’édifice de la Nature et de la société. Dans cette mer agitée d’illusions, nous sentons le diamant sous nos pieds ; dans ce royaume du hasard, nous trouvons un principe de permanence. Car je n’accepte pas cette définition d’Isocrate, d’après laquelle le rôle de l’éloquence est