Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous ne possédons que peu de traits de ces hommes, et les livres pesants qui rapportent leurs discours ne peuvent nous renseigner. Quelques-uns furent des écrivains comme Burke ; mais la plupart ne l’étaient pas, et il ne reste d’eux aucun témoignage à la hauteur de leur réputation. D’ailleurs, le meilleur est perdu — l’intensité de vie du moment. Mais les conditions de l’éloquence existent toujours. Elle disparaît toujours des lieux célèbres, et apparaît dans les endroits obscurs. Partout où les électricités contraires se rencontrent, partout où le sentiment moral dans sa fraîcheur, l’instinct de la liberté et du devoir, se trouvent en opposition directe avec l’esprit conservateur fossile et la soif du gain, l’étincelle jaillit. Dans ce pays, la lutte contre l’esclavage a été une fertile pépinière d’orateurs. La liaison naturelle en vertu de laquelle elle a attiré à soi tout un cortège de réformes morales, et la faible mais suffisante organisation de parti qu’elle a présentée, ont fortifié les villes du sang nouveau des bois et des montagnes. Des hommes du désert, des Jean-Baptiste, des Pierre l’Hermite, des John Knox, annoncent au cœur des capitales commerçantes les sentiments primitifs de la nature. Ils nous envoient tous les ans quelques échantillons de force indigène, quelque homme de chêne résistant que la populace ne peut réduire au silence, ni insulter, ni intimider, parce qu’il est encore plus peuple qu’elle — un homme qui malmène la populace — quelque campagnard vigoureux sur qui ni l’argent, ni la politesse, ni les mots durs, ni les œufs pourris, ni les coups, ni les pierres ne produisent de l’effet. Il peut se rencontrer avec les beaux-esprits et les fier-à-bras, de cabaret ; il est lui-