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fond un exposé religieux de la réalité. C’est par le fait de s’appuyer toujours sur le réel, que l’orateur est un orateur. Par là seulement, il est invincible. Il n’est pas de talents, de charme, de puissance d’esprit, de savoir ou d’images, qui puissent compenser le manque de réalité. Tous les auditoires y sont sensibles. Une parole ou une éloquence réputée pousseront un petit nombre de fois les gens à entendre un orateur ; mais bientôt, ils commenceront à demander : « Où veut-il en venir ? » et si l’homme ne représente rien, on le désertera. Ils suivront longtemps l’homme qui soutient fermement quelqu’une de leurs croyances, qui exprime des choses positives ; mais une lacune dans le caractère de l’orateur entraîne avec raison une perte d’influence. Le prédicateur énumère ses catégories d’individus, et je n’y trouve point ma place ; je soupçonne alors que personne n’y trouve la sienne. Tout est de ma famille ; et quand il parle de choses réelles, je sens qu’il touche à quelqu’une de mes relations, et suis mal à l’aise ; mais quand il s’en tient aux mots, nous sommes dispensés d’attention. Si vous voulez m’élever, vous devez être à un niveau supérieur. Si vous voulez m’affranchir, vous devez être libre. Si vous voulez rectifier ma perception erronée des faits, présentez-moi ces mêmes faits dans l’ordre véritable de la pensée, et je ne pourrai me détourner de la nouvelle conviction.

La puissance de Chatham, de Périclès, de Luther, s’appuyait sur cette énergie du caractère — énergie qui, ne craignant et ne pouvant craindre quoi que ce soit, ne tenait pas compte des adversaires, devenait parfois délicieusement provocante, et parfois leur était terrible.