Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

centre des couches d’anthracite en feu. Et dans les cas où une conviction profonde s’est formée, l’homme éloquent n’est pas celui qui est un discoureur de talent, mais celui qui s’est intimement enivré d’une certaine croyance. Elle l’agite, le travaille, et va peut-être jusqu’à le priver de ses facultés d’articulation. Alors, elle jaillit de lui en cris brefs, saccadés, en torrents d’idées. Le sujet possède tellement son esprit, qu’il lui donne une méthode d’expression qui est la méthode même de la Nature, et par conséquent la méthode la plus puissante, et qu’aucun art ne peut imiter. Et la différence capitale entre lui et les acteurs qui ont toutes les grâces, c’est la conviction, communiquée par chacun de ses mots, que son esprit contemple un tout, est enflammé de la vision du tout, et que les paroles et les phrases qu’ils profère, si admirables soient-elles, tombent de lui comme des fragments négligés de ce tout formidable qu’il voit, et veut que vous voyiez aussi. Ajoutez à cela un certain calme supérieur qui, dans tout le tumulte, ne profère jamais une syllabe prématurée ; mais garde le secret de ses moyens et de sa méthode, et l’orateur se tiendra devant les gens comme une puissance surnaturelle dont les miracles leur restent insaisissables. Cette ardeur terrible justifie la vieille superstition des chasseurs — à savoir que la balle qui atteint le but est celle qui a été d’abord trempée dans le sang du tireur.

L’éloquence doit se fonder sur l’exposé le plus simple. Plus tard, elle peut s’échauffer jusqu’à rayonner en images de toute espèce et de toute couleur, ne s’exprimer que sous les formes les plus poétiques ; mais, avant tout, elle doit toujours être au