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rience journalière en un symbole éclatant, et les auditeurs sont électrisés. Il leur semble posséder déjà quelque nouveau droit, quelque nouveau pouvoir sur un fait, qu’ils peuvent isoler, et dominer ainsi complètement en pensée. C’est un merveilleux auxiliaire de la mémoire, laquelle emporte l’image et ne la perd jamais. Une Assemblée publique, comme la Chambre des Communes, ou le Parlement français, ou le Congrès américain, est gouvernée par ces deux puissances — le fait d’abord, ensuite le talent d’exposition. Mettez votre thèse sous une forme concrète ou une image — une phrase résistante, ronde et solide comme une balle, qu’on pourra voir, manier et emporter chez soi — et la cause sera à demi gagnée.

L’exposition, la méthode, les images, le choix, la fidélité de la mémoire, le don de manier les faits, de les éclairer, de les affaiblir par le ridicule ou par une diversion de l’esprit, la généralisation rapide, l’humour, le pathétique, sont des clés que tient l’orateur ; et cependant ces dons excellents ne sont pas l’éloquence, et empêchent souvent d’y atteindre. Et si nous arrivons au cœur du mystère, peut-être devrons-nous dire que l’homme vraiment éloquent est un homme sain, doué du pouvoir de communiquer sa santé d’esprit. Munissez-le des armes merveilleuses de cet art, donnez-lui le pouvoir de saisir les faits, la science, une imagination vive, l’ironie, les allusions brillantes, les images sans fin — tous ces dons, si puissants et si captivants, ont le pouvoir de tromper et de fourvoyer également l’auditoire et l’orateur. Ses dons sont trop forts pour lui, ses chevaux s’emportent avec lui ; et les gens voient toujours si vous conduisez, ou si les chevaux prennent le mors aux dents, et s’emportent.