l’orateur. Il y a toujours antagonisme entre l’orateur et les circonstances, entre les exigences du moment et les préoccupations de l’individu. L’événement qui a provoqué la réunion a généralement plus d’importance que tout ce que les discutants ont dans l’esprit ; aussi s’impose-t-il à leur pensée. Mais si l’un d’entre eux a au cœur quoi que ce soit qui ait le caractère d’une nécessité impérieuse, comme il trouve rapidement moyen de s’en ouvrir, et cela aux applaudissements du public ! Cet équilibre s’observe dans la conversation privée. Le pauvre Tom n’a jamais connu l’heure où la circonstance présente était si insignifiante qu’il lui était possible de dire ce qui lui venait à l’esprit, sans qu’on l’arrêtât en lui reprochant un discours hors de saison ; mais que Bacon parle, et les sages préfèrent écouter, alors même que la révolution des empires serait en marche. J’ai entendu raconter d’un prédicateur éloquent, dont la voix n’est pas encore oubliée dans cette ville, que quand une mort ou un désastre tragique étendait son voile noir sur la congrégation, il montait les degrés de la chaire avec plus de légèreté que de coutume et, invoquant ses textes favoris de reconnaissance pieuse et exultante — « Louons le Seigneur ! » — il entraînait ses auditeurs, les affligés et l’affliction avec lui, et chassait toute l’impertinence des chagrins personnels devant ses hosannas et cantiques de louanges. En revenant d’une conférence, Peppy dit de Lord Clarendon (dont il est « follement épris ») : « Je n’avais jamais remarqué combien on parle plus facilement quand on sait que toute l’assemblée est au-dessous de soi, comme je viens de le faire en l’écoutant ; car, quoiqu’il parlât en vérité parfaitement bien, la
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