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planète ; mais quand il est armé du pouvoir de la parole, il semble pour la première fois devenir vraiment humain, s’exerce activement dans toutes les directions, et fournit à l’imagination de précieux matériaux.

C’est là un fait qui rentre en chaque analyse du pouvoir des orateurs, et est la clé de tous les résultats qu’ils obtiennent. Dans une assemblée, vous verrez que l’orateur et l’auditoire sont en équilibre perpétuel ; et le choix du sujet indique la prédominance de l’un ou de l’autre. Là où existe le don de la parole, mais non une personnalité forte, vous avez de bons orateurs qui reçoivent et expriment parfaitement la volonté de l’auditoire, et la populace la plus basse se trouve flattée d’entendre ses pensées vulgaires qui lui sont renvoyées avec tous les ornements que peut y ajouter un talent habile. Mais si l’orateur a de la personnalité, l’aspect des choses se modifie. L’auditoire est mis dans la position d’un élève, suit l’orateur comme un enfant suit son maître, et écoute ce qu’il a à dire. C’est comme si au milieu du Conseil du roi, à Madrid, alors que Ximénès prouve qu’on pourrait gagner quelque avantage sur la France, et Mendoza qu’on pourrait contenir les Flandres, Colomb étant introduit, on lui demandait si ses connaissances géographiques pourraient aider le Cabinet ; il ne pourrait rien dire à l’un ou à l’autre parti ; mais il pourrait montrer comment on peut diminuer toute l’Europe et la ranger sous le roi, en assurant à l’Espagne un continent grand comme six ou sept Europes.

Cet équilibre entre l’orateur et l’auditoire se manifeste dans ce que l’on appelle la « pertinence » de