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le même sentiment de jalousie et de défiance que l’on peut observer autour d’une table où quelqu’un raconte de merveilleuses histoires de magnétisme. Chaque auditeur met un point final au récit en s’écriant : « Pourrait-il me magnétiser ? » Ainsi chacun cherche à savoir si quelque orateur pourrait modifier ses convictions.

Mais est-il quelqu’un qui se suppose absolument réfractaire ? Croit-il qu’il n’y a aucune possibilité pour lui de rencontrer un individu qui lui fasse abandonner ses résolutions les plus fermes ? — qui, par exemple, fasse un fanatique du bon et tranquille citoyen qu’il est — ou, s’il est parcimonieux, qui lui fasse gaspiller son argent pour quelque projet auquel il pense le moins — ou, s’il est un homme prudent, laborieux, qui lui fasse négliger son travail, et prendre intérêt à une nouvelle question durant des jours et des semaines ? Non, il les en défie tous, il en défie chacun. Ah ! il songe à la résistance, et à un tour de pensée différent du sien. Mais que faire s’il vient un homme de même tour d’esprit, et qui voit beaucoup plus loin que lui sur sa propre route ? Un homme dont les goûts sont pareils aux miens, mais d’une force plus grande, me dirigera à n’importe quel moment, et me fera aimer mon conducteur.

Ainsi ce n’est pas le talent de la parole que nous avons d’abord en vue sous ce mot éloquence, mais la force qui, présente, lui donne sa perfection, et absente ne lui laisse qu’une valeur superficielle. L’éloquence est l’instrument propre de la plus haute énergie personnelle. L’ascendant personnel peut exister avec un talent adéquat d’expression, ou sans lui. On le perçoit aussi sûrement qu’une montagne ou une