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rieures ; mais le don de retenir l’attention par un discours agréable, et de parler à l’imagination et à la fantaisie, existe souvent sans mérites supérieurs. Ainsi isolée, comme cette fascination du discours ne vise qu’à l’amusement, alors même qu’elle aurait momentanément un effet décisif, elle n’est qu’une jonglerie, et sans pouvoir durable. On l’écoute comme une troupe de musiciens qui parcourt les rues, et convertit tous les passants en poètes, mais qui est oubliée dès qu’elle a tourné le premier coin ; et à moins, pour parler en style oriental, que cette langue emmiellée ne puisse laper le soleil et la lune, cette sorte d’éloquence doit se mettre au rang de l’opium et de l’eau-de-vie. Je ne sais point de remède contre elle, si ce n’est le coton ou la cire dont Ulysse boucha les oreilles de ses marins pour passer sans danger au milieu des Sirènes.

Il est mille degrés de puissance, et les moindres ont leur intérêt ; mais il ne faut pas les confondre. Il y a la langue bien pendue et la tranquille possession de soi du vendeur de grand magasin qui l’emporte, comme on le sait, sur la prudence et les résolutions des maîtres de maison des deux sexes. Il y a l’abondance facile de l’homme de loi qui produit assez d’effet sur les gens dénués de ce genre de talent, quoiqu’en bien des cas elle ne soit rien de plus que le don d’exprimer avec rapidité et exactitude ce que chacun pense et formule plus lentement, sans plus de connaissance, ni de précision de pensée — mais la même chose, ni plus ni moins. Il n’est besoin d’aucune pénétration spéciale pour éditer un des journaux de notre pays. Cependant quiconque peut débiter couramment, en une série de phrases, des choses ni