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quand ils s’assirent, le plus majestueux était Ulysse. Lorsqu’ils causèrent, échangeant des récits, des appréciations avec tous, Ménélas parla succinctement — ne disant que peu de mots, mais très agréables — car il n’était ni causeur, ni prolixe en ses discours, et était le plus jeune. Pour le sage Ulysse, quand il se leva, se tint debout, les yeux baissés, fixant son regard sur le sol, sans remuer son sceptre en avant ou en arrière, le tenant immobile comme une personne embarrassée, vous auriez dit un homme en colère ou insensé ; mais quand il fit jaillir de sa poitrine sa voix puissante, et que ses paroles tombèrent comme les neiges d’hiver, aucun mortel n’aurait voulu contester avec lui ; et, voyant ce spectacle, nous ne nous étonnâmes plus autant de son aspect[1]. » Ainsi, il ne manque pas d’armer Ulysse dès le début de ce pouvoir de surmonter toutes les oppositions par les séductions de la parole. Plutarque raconte que lorsque Archidamus, roi de Sparte, demanda à Thucydide quel était — de Périclès ou de lui — le meilleur athlète, il répondit : « Quand je le renverse, il dit n’avoir pas été terrassé, et amène les spectateurs eux-mêmes à le croire. » Philippe de Macédoine disait de Démosthène, en entendant le compte rendu de l’un de ses discours : « Si j’avais été là, il m’aurait persuadé de prendre les armes contre moi-même » ; et Warren Hastings disait du discours de Burke sur sa mise en accusation : « En écoutant l’orateur, il m’a semblé pendant plus d’une demi-heure que j’étais l’être le plus coupable de la terre. »

Dans ces exemples, il entre déjà des qualités supé-

  1. Iliade, III, 191.