Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme ils sont arrivés ! Nos gens du Sud sont presque tous orateurs, et ont ici toute supériorité sur les gens de la Nouvelle-Angleterre, dont le climat est si froid qu’on dit que nous n’aimons pas ouvrir la bouche. Mais ni les Méridionaux des États-Unis, ni les Irlandais, ne peuvent se comparer avec les vifs habitants du Sud de l’Europe. Celui qui voyage en Sicile n’a pas besoin de scènes théâtrales plus gaies que celles que lui offre la conversation des joyeux convives de la table d’hôte[1] de son auberge. Ils miment la voix et les manières de la personne qu’ils décrivent, croassent, hurlent, sifflent, caquettent, aboient, crient comme des insensés et, ne serait-ce que par l’énergie physique qu’ils mettent en œuvre en racontant l’histoire, entretiennent chez les convives une excitation sans bornes. Mais chez tout homme, une certaine puissance de vigueur animale est indispensable, à titre de base matérielle des qualités supérieures de l’art de la parole.

Mais l’éloquence doit être attirante, ou elle n’est rien. Ce qui fait la vertu des livres, c’est d’être lisables, et celle des orateurs, d’être intéressants ; et c’est là un don de la Nature ; Démosthène, en l’espèce le plus laborieux des étudiants, a exprimé son sentiment de cette nécessité en écrivant : « Bonne fortune », comme devise sur son écusson. Comme nous le savons, la puissance de la parole peut aller chez certains individus jusqu’à la fascination, bien qu’elle puisse n’avoir aucun effet durable. Un peu de ce miel doit s’y mêler. L’éloquence véritable n’a pas besoin de cloche pour réunir les gens, ni d’officier

  1. En français, dans le texte.