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lui seul une trop grande partie de l’assemblée, frissonne de froid devant le clairsemé de la réunion du matin, et de frayeur à l’idée d’un mauvais discours qui ferait échouer toute l’affaire, la simple énergie et l’entrain sont d’un prix inestimable. L’habileté et la science seraient moroses et mal venues à côté d’un homme solide, cordial, fait de lait, comme nous disons, qui réchauffe la salle de sa loyauté, de ses bonnes intentions manifestes, et d’une harangue en style de « prêtez main-forte », faisant déborder sur l’auditoire un flot de vigueur physique, et donnant à chacun le sentiment d’être sain et sauf, de sorte que toute espèce de bon discours devient immédiatement possible. Je n’estime pas très haut cette sorte d’éloquence corporelle ; et cependant, il faut — même les meilleurs — que nous nous nourrissions et réchauffions avant de pouvoir bien faire un travail ; de même, cette exubérance quasi-animale est, comme un bon poêle, de première nécessité dans une maison froide.

Le climat entre ici pour beaucoup — le climat et la race. Dites à un homme de la Nouvelle-Angleterre de décrire un incident survenu en sa présence. Quelle hésitation et quelle réserve dans son récit ! Il raconte quelques détails avec difficulté, arrive aussi vite qu’il le peut à la conclusion et, bien qu’il ne puisse décrire, espère suggérer toute la scène. Écoutez maintenant une pauvre Irlandaise raconter quelqu’une de ses expériences. Sa parole coule comme une rivière, — naturelle, pleine d’humour, pathétique, rendant si bien justice à tous les personnages ! C’est une véritable transsubstantiation — les faits convertis en discours chaud, coloré, vivant,