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c’est-à-dire celle de l’arme la plus acérée. Socrate disait : « Si quelqu’un désire causer avec le moindre des Lacédémoniens, il trouvera d’abord sa conversation méprisable ; mais qu’une occasion convenable se présente, et ce même homme, comme un jouteur habile, lancera une phrase digne d’attention, courte et ramassée, de sorte que celui qui s’entretient avec lui ne paraîtra à aucun égard supérieur à un enfant. Platon définit la rhétorique : « L’art de gouverner l’esprit des hommes. » Le Coran dit : « Une montagne peut changer de place, mais un homme ne changera pas de dispositions » ; cependant le but de l’éloquence c’est — n’est-il pas vrai ? — de modifier en une couple d’heures, peut-être en un discours d’une demi-heure, des convictions et des habitudes qui remontent à des années. Les jeunes gens, eux aussi, sont impatients de jouir de ce sentiment de puissance accrue et de vie sympathique plus large. L’orateur se voit l’organe d’une multitude d’individus, concentrant leurs courages et leurs forces :

Mais maintenant le sang de vingt mille personnes
Animait mon visage.

Ce que l’orateur désire, le but que l’éloquence doit atteindre, ce n’est pas le savoir-faire spécial qui consiste à bien dire une histoire, résumer clairement des preuves, discuter logiquement, ou s’adresser habilement aux préjugés de l’assemblée — non, mais une souveraine prise de possession de l’auditoire. Nous appelons artiste celui qui joue sur une assemblée d’hommes comme un maître sur les touches d’un piano — celui qui, voyant la foule en fureur, sait