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vent du nord, ou la force élastique de la vapeur, ou le flux et le reflux de la mer s’exercent sur nos appareils. De même dans nos travaux manuels, nous faisons peu de choses par la force musculaire ; mais nous nous plaçons de manière à ce que la force de gravité, c’est-à-dire le poids de la planète, porte sur la bêche ou la hache que nous manions. En un mot, dans toutes nos œuvres, nous ne cherchons pas à user de notre propre force, mais à amener une force infinie à agir.

Envisageons maintenant cette loi en tant qu’elle touche aux œuvres qui ont pour fin la beauté, c’est à-dire les productions des Beaux-Arts. Ici encore, le fait prédominant est la subordination de l’homme. Son talent est la moindre partie de l’œuvre d’art. Il faut retrancher beaucoup avant de connaître la mesure dans laquelle il y contribue personnellement.

Musique, éloquence, poésie, peinture, sculpture, architecture, telle est l’énumération sommaire des Beaux-Arts. J’omets la rhétorique, qui n’a trait qu’à la forme de l’éloquence et de la poésie. L’architecture et l’éloquence sont des arts mixtes, dont la fin est tantôt le beau, tantôt l’utile.

On verra qu’en chacun de ces arts, il entre nombre d’éléments qui ne sont pas spirituels. Chacun a une base matérielle, et en chacun l’intelligence créatrice est paralysée en une certaine mesure par les matériaux sur lesquels elle travaille. La base de la poésie, c’est le langage, qui n’est matériel que d’un côté. C’est un demi-dieu. Mais appliqué tout d’abord aux communes nécessités des hommes, il n’est pas créé à nouveau par le poète en vue de ses propres fins.

La base de la musique, ce sont les propriétés de