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subsister. La Nature intervient constamment dans l’art. Vous ne pouvez construire votre maison ou votre pagode comme vous le voulez, mais comme il le faut. Une limite s’impose rapidement à votre caprice. La tour penchante ne peut pencher que jusqu’à un certain degré. La véranda ou le toit de la pagode ne peuvent s’incurver en remontant que jusqu’à un certain point. La pente de votre toit est déterminée par le poids de la neige. La liberté de l’architecte ne peut s’exercer qu’en d’étroites limites ; la pesanteur, le vent, le soleil, la pluie, la taille des hommes et des animaux, et autres choses semblables, ont plus à dire que lui. C’est la loi des fluides qui prescrit la forme du navire — de la quille, du gouvernail, de la proue — et, dans le fluide plus léger au-dessus, la forme et la disposition des voiles. En ce qui concerne ses instruments, l’homme semble n’avoir pas à choisir, mais à se soumettre simplement à la nécessité d’apprendre de la Nature ce qui convient le mieux, comme s’il ajustait une vis ou une porte. Sous l’empire d’une nécessité toute-puissante, ce qui est artificiel dans la vie des hommes paraît insignifiant. Ils semblent recevoir si exactement leur tâche des indications de la Nature, que leurs œuvres deviennent comme les siennes, et ils ne sont plus libres.

Mais si nous travaillons en cette limite, elle nous concède toute son énergie. Toute action puissante s’accomplit en amenant les forces de la nature à s’exercer sur les choses que nous avons en vue. Nous ne broyons pas le grain, nous ne faisons pas aller le métier par notre propre force, mais nous construisons une fabrique dans une situation telle que le