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« Qui est l’artiste ? » et la solution de celle-ci est la clé de l’histoire de l’Art.

Je me hâte de formuler le principe qui, au milieu de moyens différents, impose sa loi constante aux arts utiles et aux beaux-arts. La loi est la suivante : le seul créateur de l’utile et du beau, c’est l’esprit universel ; pour faire quelque chose de beau et d’utile, l’individu doit donc se soumettre à l’Universel.

En premier lieu, examinons ce principe dans ses rapports avec les arts utiles. Ici, l’agent omnipotent est la Nature ; tous les actes humains suivent son orbe en satellites. La Nature représente l’esprit universel, et la loi devient celle-ci : l’Art doit être un complément de la Nature, en être étroitement tributaire. On a dit, en faisant allusion aux grandes constructions des anciens Romains — les ponts et les aqueducs — que leur Art, c’était la Nature travaillant en vue de fins municipales. C’est là une fidèle explication de toutes les véritables œuvres d’art utiles. Smeaton a construit le phare d’Eddystone sur le modèle d’un chêne, car c’est dans la nature la forme la mieux conçue pour résister à une force constamment à l’assaut. Dollond a fait son télescope achromatique sur le modèle de l’œil humain. Duhamel a bâti un pont en introduisant une charpente de bois plus forte au milieu de la surface inférieure, idée qui lui fut suggérée par la structure du tibia.

La première et la dernière leçon des arts utiles, c’est que la Nature exerce sur nos œuvres son pouvoir tyrannique. Elles doivent être conformes à ses lois, sinon son activité omniprésente les réduira en poussière. Rien de bizarre, rien de fantaisiste ne saurait