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bonne humeur et n’insinue jamais une objection.

Nous avions des lettres à envoyer : les courriers ne pouvaient aller ni assez vite, ni assez loin ; ils brisaient leurs voitures, surmenaient leurs chevaux, avaient à lutter contre les mauvaises routes au printemps, la neige en hiver, les chaleurs en été ; ils ne pouvaient les faire trotter. Mais nous avons découvert que l’air et la terre étaient remplis d’électricité, et d’une électricité qui suivait toujours notre chemin — précisément le chemin par lequel nous avions à faire des envois. L’électricité voudrait-elle porter notre message ? Aussi volontiers que si ce n’était rien ; elle n’avait pas autre chose à faire ; elle le porterait en moins d’une seconde. Seulement un doute surgit, une objection capitale — elle n’avait pas de sac, pas de poche visible, pas de mains, pas même une bouche pour porter une lettre. Mais, après maintes réflexions et expériences, nous sommes parvenus à trouver le moyen, à plier la lettre en une missive si serrée et si invisible qu’elle puisse la porter en ces poches invisibles que n’ont faites ni l’aiguille, ni le fil — et la lettre est partie comme par enchantement.

J’admire encore plus que l’invention de la scierie l’ingéniosité qui, sur le rivage de l’océan, a amené le flux et le reflux à mouvoir les roues et à broyer le grain, empruntant ainsi l’aide de la lune, comme d’un serviteur à gages, pour moudre, tourner, pomper, scier, fendre des pierres, et rouler du fer.

Qu’il s’agisse de n’importe quel labeur, la sagesse de l’homme consiste à attacher son char à une étoile, et à voir ce labeur fait par les dieux mêmes. Le moyen d’être fort, c’est d’emprunter la puissance des éléments. La force de la vapeur, de la pesanteur, du