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La civilisation est le résultat d’une organisation singulièrement complexe. Chez le serpent, tous les membres sont engaînés ; pas de mains, pas de pieds, pas de nageoires, ni d’ailes. Chez l’oiseau et le quadrupède, les membres se délient, et commencent à agir. Chez l’homme, ils sont tous dégagés, et pleins d’activité joyeuse. Avec ce désemmaillotement, il reçoit l’illumination absolue que nous appelons la Raison, et par là même la vraie liberté.

Le climat entre pour beaucoup dans ce perfectionnement. La civilisation supérieure n’a jamais aimé les régions chaudes. Partout où il neige, on trouve d’ordinaire la liberté civile. Là où croissent les bananes, l’organisme animal, est indolent, développé aux dépens de qualités plus hautes : l’homme devient sensuel et cruel. Mais ce n’est pas là un rapport invariable. Une haute élévation de sentiment moral l’emporte sur les influences défavorables du climat, et quelques-uns de nos plus grands exemples d’hommes et de races viennent des régions équatoriales — tels les génies de l’Égypte, de l’Inde, et de l’Arabie.

Ces faits sont des critériums ou marques de la civilisation ; et le climat tempéré a une influence importante, bien qu’elle ne soit pas absolument indispensable, car le savoir, la philosophie, les arts, ont existé en Islande et aux tropiques. Mais il est une condition essentielle à l’éducation sociale de l’homme, à savoir la moralité. Il ne peut y avoir de civilisation avancée sans une moralité profonde, bien qu’on ne la désigne pas toujours sous ce nom, mais qu’on l’appelle parfois le point d’honneur, comme dans les institutions de la chevalerie ; ou le patriotisme, comme dans les républiques de Sparte et de Rome ;