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a entendues au cours de sa jeunesse, ou rencontrées dans ses lectures variées. Nous gardons en notre mémoire d’importantes anecdotes, et nous avons perdu toute idée de l’auteur de qui nous les tenons. Nous avons un discours héroïque de Rome ou de la Grèce, mais ne pouvons déterminer celui qui l’a prononcé. Nous avons un vers admirable, digne d’Horace, qui de temps à autre chante dans notre esprit, mais l’avons recherché en vain dans tous les livres probables et improbables. Nous consultons les hommes de cabinet ; mais, fait assez étrange, eux qui connaissent tout, ne connaissent pas la chose. Nous avons surtout une certaine pensée isolée qui nous hante, mais reste isolée et stérile. À cela, il n’est d’autre remède que le temps et la patience. Oui, le temps est le trouveur, l’explorateur infatigable, qui n’est pas sujet aux accidents, et qui finalement a l’omniscience. Un jour vient où nous trouvons l’auteur inconnu de notre histoire, où le discours courageux retourne droit au héros qui l’a prononcé, où le vers admirable trouve le poète à qui il revient ; et, ce qui vaut mieux que tout, où la pensée solitaire qui semblait si sage, mais n’était cependant qu’à demi sage et à demi pensée, puisqu’elle ne répandait au dehors aucune lumière, rencontre soudain dans notre esprit sa sœur jumelle, son corollaire, l’idée analogue la plus rapprochée, qui lui donne immédiatement une force rayonnante, et justifie l’instinct superstitieux qui nous la faisait conserver. Nous nous souvenons de notre ancien professeur de grec à Cambridge, vieux célibataire vivant au milieu de ses in-folios, possédé de l’espoir d’achever un travail sans rien qui pût interrompre ses loisirs après ses