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l’homme pauvre. Des fragments de science, de pensée, de poésie, se trouvent dans la feuille la plus ordinaire, de sorte qu’en chaque maison on hésite à brûler un journal avant de l’avoir parcouru.

Avec les derniers perfectionnements de son équipement complet, le navire est un abrégé et un compendium des arts d’une nation — le navire gouverné par le compas et la carte, avec la longitude calculée d’après le chronomètre, et mû par la vapeur au milieu des vagues déchaînées, à des distances immenses du pays :

Les battements de son grand cœur de fer
Vont palpitant à travers les orages.

L’habitude ne saurait diminuer l’étonnement que fait naître cette domination de forces si prodigieuses, par une créature si faible. Je me rappelle avoir observé, en traversant l’océan, l’ingéniosité admirable grâce à laquelle la machine avait été amenée dans son travail continu à tirer de l’eau de mer deux cent galons d’eau potable à l’heure, suppléant ainsi à tous les besoins du navire.

L’ingéniosité qui pénètre les détails complexes, l’homme qui subvient à ses besoins, la cheminée qui absorbe sa propre fumée, la ferme produisant tout ce que l’on y consomme, la prison même forcée de se suffire et de fournir un revenu et, mieux encore, devenant une École de correction, une manufacture où l’on fait d’honnêtes gens des coquins, comme le steamer tirait de l’eau potable de l’eau salée — toutes ces choses sont des exemples de la tendance à combiner des antagonismes, à utiliser le mal, et c’est là la marque d’une haute civilisation.