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de leurs sens, et finissent dans le délire et la folie. Nous ajournons nos travaux littéraires au temps où nous aurons plus de maturité et de talent pour écrire ; et un jour nous découvrons que nos dons littéraires étaient une effervescence juvénile, maintenant perdue. Nous avons eu dans les Massachusetts un juge qui à l’âge de soixante ans proposa de résigner sa charge, alléguant une certaine baisse qu’il percevait dans ses facultés ; pour des raisons d’intérêt public, ses amis le dissuadèrent de se retirer à ce moment-là. À soixante-dix ans, on lui insinua qu’il était temps de prendre sa retraite ; mais il répliqua alors qu’il estimait son jugement aussi robuste, et toutes ses facultés aussi solides que jamais. Mais sans parler de ces déceptions personnelles, les travailleurs ordinaires, énergiques et pressés ne collaborent pas aisément avec le valétudinaire chronique. La jeunesse est partout à sa place. La vieillesse, comme les femmes, exige un cadre qui lui convienne. La vieillesse est agréable à voir en voiture, dans les Églises, les sièges de l’État, les cérémonies, les Chambres de conseil, les cours de justice, les sociétés historiques. La vieillesse est bienséante à la campagne. Mais dans le tourbillon et le vacarme de Broadway, si vous regardez les physionomies des passants, vous constaterez que les vieillards ont un air déprimé ou indigné, un certain sentiment d’injure cachée, et les lèvres serrées avec la résolution héroïque de n’y pas faire attention. Peu de gens envient la considération dont jouit l’habitant le plus âgé. Nous ne comptons les années d’un individu que lorsqu’il n’y a en lui rien d’autre qui compte. L’immense inconvénient de l’immortalité corporelle