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Car si l’essence de l’âge n’est pas présente, ces signes, qu’ils soient artificiels ou viennent de la Nature, sont des contrefaçons et des ridicules : l’essence de l’âge, c’est l’intelligence. Partout où elle apparaît, nous l’appelons vieille. En regardant dans les yeux l’être le plus jeune, nous découvrons parfois qu’il y a là quelqu’un qui sait déjà ce que nous nous donnerions beaucoup de peine pour lui apprendre ; il y a en lui l’ancêtre de tout ce qui est autour de lui — fait que les Védas expriment en disant : « Celui qui sait discerner est le père de son père. » Et en nos vieilles légendes bretonnes sur Arthur et la Table Ronde, son ami et conseiller, Merlin le Sage, est un enfant trouvé dans une corbeille au bord de la rivière et, bien qu’il n’ait que quelques jours, il parle distinctement à ceux qui le découvrent, dit son nom et son histoire, et bientôt prédit le sort de ceux qui l’entourent. Partout où il y a la puissance, il y a l’âge. Ne vous laissez pas tromper par les fossettes et les boucles. Je vous le dis, ce nouveau-né est vieux de mille ans.

Le temps est en réalité le théâtre et le siège de l’illusion : rien n’est si ductile et élastique. L’esprit donne à une heure l’étendue d’un siècle, et ramène un siècle à une heure. À Damascus, Saadi trouva en une mosquée un vieux Persan de cent cinquante ans qui se mourait, et se disait à lui-même : « En venant au monde, je m’étais dit : « Je vais me réjouir quelques moments. » Hélas ! Au banquet varié de l’existence je n’ai pris que quelques bouchées, et les Destins ont dit : Assez ! » Ce qui ne périt pas est en nous si actuel, si dominateur, qu’aussi longtemps que l’on est seul avec soi-même, l’on n’est pas sensible aux