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intellectuels et moraux, ces sources de la pensée droite, de les solliciter de rester et de faire leur demeure parmi nous. Tant qu’ils habiteront avec nous, notre pensée ne sera pas erronée. Notre perception dépasse de beaucoup nos talents. Nous faisons aux leçons supérieures de la religion et de la poésie un accueil hors de proportion avec notre faculté d’enseigner. En outre, la grande attention, la grande sympathie des hommes, est plus sage et plus vraie que leurs discours n’ont coutume de l’être. Ce que nous demandons à quiconque étudie l’esprit, c’est une puissance de sympathie profonde ; car la principale différence entre les hommes est une différence de sensibilité. Aristote, Bacon, ou Kant, avancent quelque maxime qui devient désormais le thème de la philosophie. Mais ce qui m’intéresse davantage, c’est de savoir que quand ils ont à la fin lancé leur grande parole, elle n’a fait qu’exprimer quelque expérience familière à l’homme du commun. S’il n’en est pas ainsi, on n’en entend plus parler.

Ah ! si l’on pouvait conserver cette sensibilité, et vivre dans le présent heureux et qui suffit ! si l’on pouvait se contenter du jour et de ses ressources ordinaires, qui ne demandent de vous qu’une faculté de réception, et nullement une tension excessive, une ambition dévorante, un surmenage pour arriver à la tête de votre classe, à la tête de la société, pour avoir honneurs, lauriers, et consomption ! Ce n’est pas par notre puissance de pénétration que nous sommes forts, mais par notre puissance d’harmonie. Le monde s’élargit pour nous non par des objets nouveaux, mais par la découverte d’un plus grand