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qui pénètre en cette Intelligence centrale, où il ne saurait y avoir ni égoïsme ni exagération, parvient à se posséder lui-même.

Mon second point, c’est que dans la hiérarchie des facultés, ce n’est pas le talent, mais la sensibilité qui vaut le mieux : le talent vous isole, mais la vie centrale vous met en relation avec tous. Comme naître avec un heureux talent qui s’adapte aux dispositions de la race humaine semble souvent le plus grand des biens ! Un homme qui a ce talent se sent en harmonie avec l’ensemble, et sa puissance de réceptivité lui donne une force infinie. Comme Alfred, « la bonne fortune l’accompagne ainsi qu’un don de Dieu ». Ayez conscience de vous-même, et ne vous laissez pas intimider par les choses. C’est la plénitude de l’homme qui se précipite dans les objets, et qui fait ses Bibles, ses Shakespeare et ses Homère si grands. Le lecteur heureux emprunte à ses propres idées pour remplir leurs contours défectueux, et ne sait pas qu’il emprunte et qu’il donne.

Il y a quelque chose de pauvre dans notre critique. Nous supposons qu’il n’y a qu’un petit nombre de grands hommes, que tout le reste est petit ; nous supposons qu’il n’y a qu’un Homère, un Shakespeare, un Milton, un Socrate. Mais dans ses heures rayonnantes, l’âme n’admet pas ces usurpations. Nous devrions savoir faire l’éloge de Socrate, de Platon ou de saint Jean, sans nous appauvrir. Dans nos meilleures heures, nous ne trouvons pas que Shakespeare ou Homère nous surpassent — ils n’ont été que les interprètes du présent lumineux — et tous les hommes et toutes les femmes sont des possibilités divines. C’est le bon lecteur qui fait le bon livre ;