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parviens à pénétrer mon semblable d’une vérité qui lui enseigne sa propre valeur. Le résumé de la sagesse, c’est que le temps donné au travail n’est jamais perdu. Le bon travailleur ne dira jamais : « Voilà, cela pourra aller » ; mais : « Voilà, la chose est faite : essayez-la, recommencez, elle durera toujours ». Si l’artiste, en quelque art que ce soit, travaille consciencieusement d’après son propre plan, peu importe, qu’il n’ait pas encore trouvé de commandes ou de clients. Je le déclare heureux le jeune homme qui se contente d’avoir acquis le talent auquel il visait, et attend de plein gré l’occasion de le faire apprécier, sachant bien qu’elle ne tardera pas. Le temps que votre rival passe à parer son œuvre en vue de l’effet, hâtivement et pour la vente, vous le passez en études et en expériences qui mènent au savoir, à une capacité véritable. Grâce à ses procédés, l’autre a vendu son tableau ou sa machine, gagné le prix ou obtenu le poste ; mais vous vous êtes élevés à une plus haute règle d’art, et quelques années suffiront à montrer la supériorité du maître réel sur la popularité passagère du charlatan. Je sais qu’il est bien délicat de discerner cette confiance en soi, qui est le gage de toute vigueur mentale et de tout travail, de la maladie à laquelle elle s’allie — l’exagération du rôle que nous pouvons jouer ; cependant, ce sont deux choses différentes. Mais la santé de l’esprit, c’est de savoir que, par delà mon talent ou mon savoir-faire, et un million de fois supérieure à n’importe quel talent, se trouve l’Intelligence centrale qui s’assujettit et utilise tous les talents ; et ce n’est qu’en tant qu’ouverture sur cette Intelligence, que le talent ou le savoir qui en découle est de quelque valeur. Celui-là seul