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Il ne s’agit nullement de se précipiter avant l’heure vers quelque exploit éclatant qui attirera le regard des spectateurs et les satisfera. Il suffit que vous travailliez dans votre vraie direction. L’œuvre est si loin de constituer le succès réel, qu’il est évident que le succès lui est de beaucoup antérieur, c’est-à-dire remonte au temps où tous les faits qui forment notre civilisation étaient dans les idées de quelques bons esprits. Bien que la foule acclame uniformément le vulgarisateur, et non l’inventeur, la gloire de chaque découverte nous attache avec raison à l’esprit qui a trouvé la formule contenant tous les détails, et non aux fabricants qui gagnent maintenant de l’argent avec elle. La sottise des foules, c’est de ne pas voir la maison dans le plan, l’œuvre dans le modèle de l’inventeur. Tant qu’elle est à l’état de pensée, que ce soit un nouveau combustible, ou un nouvel aliment, ou la création de l’agriculture, on la discrédite, c’est une chimère : mais quand elle est un fait, et vient sous la forme du huit pour cent, du dix pour cent, du cent pour cent, on s’écrie : « C’est la voix de Dieu ! » Le sculpteur Horatio Greenough me disait, au sujet de la visite de Robert Fulton à Paris : « Fulton a frappé à la porte de Napoléon avec la vapeur, et a été éconduit ; et Napoléon a vécu assez longtemps pour apprendre qu’il avait rejeté un pouvoir plus grand que le sien. »

Est-il impossible d’aimer le savoir, d’aimer l’art, d’aimer notre projet pour lui seul ? Ne pouvons-nous nous contenter d’accomplir notre œuvre, d’acquérir la vérité et la force, sans avoir besoin de louanges ? J’arrive à ma fin, j’arrive à toutes les fins, si je