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gagner autant ? » Les lois de la cause et de l’effet sont quelque peu fastidieuses ; comment atteindre d’emblée au résultat par des procédés expéditifs ou trompeurs ? Nous ne sommes pas scrupuleux. Ce que nous demandons, c’est le succès, sans nous préoccuper du moyen, d’après la règle de Rob Roy, d’après la règle de Napoléon : être aujourd’hui le plus fort — le procédé des Talleyrands — gens prudents dont les montres avancent sur celles de leurs voisins, qui discernent le premier moment de déclin, et se précipitent à l’instant même du côté de la victoire. J’ai entendu rapporter que Nelson avait coutume de dire : « Ne faites pas attention à l’injustice ou à l’impudence ; laissez-moi seulement réussir. » L’unique devoir du défenseur, d’après Lord Brougham, est « de disculper le prisonnier ». Fuller dit que c’est une maxime des hommes de loi « qu’une couronne une fois portée absout tous les défauts de celui qui la porte ». Rien ne réussit mieux que le succès[1]. Et nous Américains, sommes atteints de cette folie, comme peuvent bien le montrer notre politique téméraire et nos banqueroutes. Nous sommes grands par l’exclusion, l’avidité et l’égoïsme. Notre succès dérobe à tous ce qu’il donne à un seul. C’est une course hagarde, pernicieuse, épuisante après la fortune.

L’égoïsme est une sorte de bougran qui donne aux hommes une force et une concentration momentanées, et semble très employé dans la nature pour les ouvrages qui exigent une énergie locale et spasmodique. Je pourrais indiquer dans ce pays des

  1. En français, dans le texte.