Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

restent silencieux et confus de leur ignorance. Mais je me souviens que quand nous lui demandions s’il avait lu telle ou telle nouveauté bruyante, le vieux professeur, dont l’esprit pénétrant gravait chacun des mots qu’il prononçait dans la mémoire des élèves, répondait : « Non, je n’ai pas lu ce livre-là » ; aussitôt, le livre perdait son crédit, et l’on n’en parlait plus.

Chaque être a le courage de sa constitution, en rapport avec ses devoirs : Archimède a le courage du géomètre qui s’attache à ses diagrammes, inattentif au siège et au sac de la ville ; et le soldat romain, sa capacité de frapper Archimède. Chacun est fort quand il s’appuie sur ce qui lui est propre, et chacun se perd quand il cherche en lui-même la forme de courage des autres.

Le capitaine John Brown, le héros du Kansas, me disait dans une conversation que, « comme colon en un pays neuf, un homme bon, croyant, d’esprit ferme, vaut cent, et même mille hommes sans caractère ; et que les hommes justes donnent une direction permanente aux destinées d’un État. Quant à ces fiers-à-bras, ces buveurs dont se composent ordinairement les armées, il pensait que le choléra, la petite vérole et la phtisie étaient d’aussi bonnes recrues ». Il avait la conviction que la valeur et la chasteté se taisent sur elles-mêmes. Il disait : « Aussitôt que j’entends un de mes hommes dire : « Ah ! que je voie seulement l’individu, et je l’abattrai ! » je ne m’attends pas à ce que ce hâbleur apporte beaucoup d’aide dans le combat. Ce sont les hommes calmes, placides, les hommes de principes qui font les meilleurs soldats. »

Le plus brave à la guerre, on le constate encor,
Était auparavant l’homme le plus modeste.