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même. Il est certain que la menace est quelquefois plus terrible que le coup, et il est possible que les spectateurs souffrent plus vivement que les victimes. La douleur corporelle est superficielle ; elle siège d’ordinaire à la peau et aux extrémités, pour nous avertir d’être sur nos gardes ; elle ne siège point dans les parties vitales, où la rupture qui produit la mort ne se sent peut-être pas, et la victime ignore ce qui l’a atteint. La douleur est chose superficielle, et par conséquent la crainte l’est aussi. Ce sont probablement les spectateurs qui éprouvent le plus vivement les tourments du martyre. Les tourments sont illusoires. La première souffrance est la dernière, le coup suivant se perdant dans l’insensibilité. Nos sympathies, nos souhaits pour le bien extérieur du héros s’expriment impétueusement par des larmes et de hauts cris ; mais, comme lui-même, nous arrivons bientôt à une attitude d’indifférence et de défi, quand nous voyons combien le plus long bras de la méchanceté est court, et le patient serein.

Il est évident qu’il n’existe pas une entité spéciale qui s’appelle le courage, qu’il n’y a pas dans le cerveau une cavité ou une cellule, ni dans le cœur un vaisseau, contenant des gouttes ou des atomes qui formeraient ou donneraient cette vertu ; mais le courage est l’état sain et normal de tout homme lorsqu’il est libre de faire les actes auxquels le pousse sa constitution. Il consiste à aller droit au but — à accomplir immédiatement ce que l’on doit faire. L’homme réfléchi vous dit : vous différez de moi par les opinions et la méthode ; mais ne voyez-vous pas que je ne peux penser ou agir autrement, que ma manière de vivre est organique ? Et pour être réellement forts,