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utile de voter, car cela ne reste point ; mais ce que vous faites avec votre fusil reste. » La Nature a donné à chacun la charge de se défendre soi-même, comme de subvenir à ses besoins, et je ne puis avoir droit à l’aide que quand j’ai virilement déployé pour me soutenir toutes les ressources dont je dispose et que, me sentant accablé par des forces inégales, les spectateurs éprouvent naturellement le désir d’intervenir et de voir franc jeu.

Mais avec cette éducation pacifique, nous ne sommes pas prêts pour les temps difficiles. Ou je me trompe fort, ou chacun de ceux qui se sont enrégimentés dans la dernière guerre avait une vive curiosité de savoir comment il se comporterait dans l’action. De jeunes garçons aimables et délicats, qui ne s’étaient jamais engagés en des jeux plus rudes qu’un concours de balle ou une excursion de pêche, se sont trouvés amenés à affronter une charge à la baïonnette ou à s’emparer d’une batterie. Naturellement, chacun a dû aller à l’action avec un certain désespoir. Chacun s’est murmuré à lui-même : « Mes efforts seront de peu de poids dans le résultat ; que le Ciel bienveillant me préserve de me déshonorer moi-même, et mes amis, et mon pays. Mourir ! ah certainement je puis mourir ; mais je ne peux me permettre de me comporter mal, et je ne sais ce que j’éprouverai. » Un soldat aussi grand que le vieux maréchal français Montluc reconnaît qu’il tremblait souvent de frayeur, et reprenait courage quand il avait récité une prière pour la circonstance. J’ai connu un jeune soldat, mort au début de la campagne, qui avait confié à sa sœur qu’il était décidé à s’engager pour la guerre : « Je n’ai nullement le cou-