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lieu entre deux personnes qui ne peuvent parler que l’une à l’autre. Montesquieu lui-même avouait que s’il s’apercevait dans la conversation qu’une troisième personne l’écoutait, il lui semblait à partir de ce moment que toute la question disparaissait de son esprit. J’ai connu des gens d’une capacité rare dont la société pesait lourdement à des hommes bienveillants et sociables, possédant assez bien l’art de faire sortir les autres de leurs habitudes réservées — des gens qui, de plus, étaient un fardeau pour les intellectuels qui auraient dû les connaître. Et n’arrive-t-il jamais que nous-mêmes, peut-être, vivions avec des personnes trop supérieures pour que nous les voyions — comme il y a des notes musicales trop hautes pour le degré de perception de beaucoup d’oreilles ? Il est des hommes qui ne sont grands que pour deux ou trois compagnons qui ont plus d’opportunités ou s’adaptent mieux à leur esprit.

C’est pour répondre à ce besoin que chez tous les peuples civilisés, on a fait des tentatives pour organiser la conversation en réunissant des gens cultivés dans les conditions les plus favorables. Il est certain que les Grecs, les Romains, les gens du Moyen âge, ont connu la conversation libérale et élégante. Un temps est venu, en France, où une révolution s’est produite dans l’architecture domestique, où les maisons des nobles, que d’après les nécessités féodales on avait construites jusqu’alors en un carré vide — le rez-de-chaussée réservé aux offices et aux écuries, et les étages supérieurs aux pièces de réception et aux appartements — ont été reconstruites d’après des vues nouvelles. Ce fut la marquise de Rambouillet qui fit sortir d’abord les chevaux des palais