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peut fermer la bouche à Luther, à Newton, à Franklin, à Mirabeau, à Talleyrand ?

Ces maîtres peuvent défendre leur propre situation, et n’ont pas besoin qu’on les patronne. Toutes les variétés de dons — science, religion, politique, littérature, art, sagesse, guerre, ou amour — trouvent leur issue et leur expression dans la conversation. La conversation, ce sont les Jeux olympiques où tous les talents supérieurs vont s’affirmer et se manifester — et, naturellement aussi, les inspirations des hommes puissants, des hommes appartenant à la vie publique. Mais ce que nous envisageons en ce moment, ce n’est pas cette classe d’hommes que l’éclat de leurs talents mène presque inévitablement aux tourbillons de l’ambition, transforme en chanceliers et en chefs de conseil et d’action, et à la fin en fatalistes. Ceux que nous envisageons, ce sont ceux qui s’intéressent aux idées, aux leurs et à celles des autres, qui se plaisent à les comparer, qui pensent que la plus grande marque de considération qu’ils puissent donner à un homme, c’est de le traiter comme une intelligence, de lui exposer les grands et heureux secrets dont ils ne se sont peut-être jamais ouverts à leurs compagnons de chaque jour, de partager avec lui le domaine de la liberté et la simplicité du vrai.

Mais une excellente conversation est chose rare. La société semble s’être entendue pour traiter les fictions comme des réalités, et les réalités comme des fictions ; et le simple amant de la vérité, surtout s’il se tient en des régions très hautes — s’il est, par exemple, un chercheur religieux ou intellectuel — se sent étranger et lointain.

Il est possible qu’une conversation excellente ait