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humbles sur la vie et le devoir, à donner de sages réponses, montrant qu’il percevait les choses sous un angle plus large, et réduisant du moins au silence ceux qui n’étaient pas assez généreux pour accepter sa pensée. Luther passa sa vie de la même manière ; et ce ne sont pas ses ouvrages théologiques — ses Commentaires sur l’Épître aux Galates, et le reste — qu’on lit encore, mais ses Propos de Table. Le Dr Johnson n’était pas un homme profond — il avait toutes les limites de la pensée anglaise, était rempli de la politique anglaise, de l’Église d’Angleterre, de la philosophie d’Oxford ; cependant ayant le cœur large, un esprit naturel, un bon sens qui s’élançait impatiemment par-dessus ses bornes ordinaires, sa conversation, telle que la rapporte Boswell, a un charme durable. La conversation est une issue pour le caractère aussi bien que pour la pensée ; et le Dr Johnson ne frappait pas seulement ses interlocuteurs par la justesse de ses remarques, mais quand elles manquaient le but, il les frappait encore parce que c’était lui qui les faisait. Sa religion ou superstition manifeste, son désir profond de les voir penser de telle ou telle manière, faisait impression sur eux — tant la profondeur du sentiment, ou une déférence intime pour une idée ou une opinion, sont choses rares parmi les hommes et les femmes d’esprit superficiel qui composent la société ; et, bien qu’ils sachent qu’il y a chez celui qui discourt une certaine mesure d’insuffisance, d’insincérité, de paroles dites pour remporter la victoire, cependant les frivoles sentent l’existence du caractère, un respect habituel pour les principes, respect supérieur à celui que l’on a pour le talent ou le savoir.