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s’embellissent mutuellement ; une histoire est le pendant d’une autre. Et là est peut-être la raison pour laquelle quand un gentleman a dit une bonne chose, il la répète immédiatement.

Rien ne coûte si peu que les bienfaits de la conversation, mais rien n’est plus rare. C’est merveille de voir comme on est dérouté et désappointé. Il y a beaucoup d’intelligence, de curiosité, de lecture ; mais une conversation sérieuse, heureuse, évitant les personnalités, traitant des résultats, est chose rare : je ne rencontre pas souvent un homme cultivé et réfléchi qui ne me dise, comme si c’était là une malchance personnelle, qu’il n’a point de compagnon.

Supposez un tel individu allant explorer différents milieux à la recherche de ce compagnon judicieux et sympathique — il pourra s’enquérir de tous côtés. La conversation dans le monde est à un niveau si bas, qu’elle exclut le savant, le saint et le poète. Au milieu de toute la gaîté railleuse, le sentiment ne peut se profaner et s’aventurer au dehors. La réponse du vieil Isocrate vient si souvent à l’esprit : « Les choses qui seraient maintenant à propos, je ne puis les dire ; et quant aux choses que je puis dire, ce n’est pas le moment ! » De plus, qui peut résister au charme du talent ? L’amant des lettres aime aussi la puissance. Au milieu des hommes d’esprit et de savoir, il n’a pu refuser son hommage à l’entrain, à la force de la mémoire, à la chance, à l’éclat, au succès ; il y a là de tels triomphes de parole, de tels exploits de société ! Quelles forces nouvelles, quelles mines de richesse ! Mais quand il arrive chez lui, ses beaux sequins ne sont que feuilles mortes. Il découvre ou que le fait